Je me doutais bien qu'en appelant ma fille Allegra elle allait être exposée aux bêtises de certains mais je ne pensais pas que ça allait commencer si tôt.
Mon petit amour ne veut plus aller à la danse parce qu'une abrutie lui a dit en regardant son bedon "allegrasse". La gamine en question a un groin qui lui fait office de nez, je vais devoir le faire remarquer à ma fille qui semble avoir omis ce détail.
Les enfants peuvent êtres si cruels entre eux, il faudrait sans doute ne pas s'en mêler, mais je ne peux m'empêcher de prendre la défense d'Allegra .Et puis, zut, de toute façon, je suis lancée dans la spirale de la vengeance, alors advienne que pourra.
Tout a commencé avec Julian mon grand qui est devenu la tête de turc d'un petit groupe de filles odieuses et trop gâtées. Il fallait agir avant qu'il ne se sente humilié en permanence et ne me fasse une déprime.
J'ai un mari qui travaille dans la pub et je suis devenue la confidente de la femme de son patron. Ledit patron dirige une des plus grosses boîtes de la capitale et bosse avec les plus grands noms de la mode.
Quand Hugo rentre à la maison en m'annonçant, l'air de rien, qu'aujourd'hui il a déjeuné avec la directrice marketing de la maison Chanel, même moi ça me fait rêver. Alors je vous laisse imaginer toutes ces petites merdeuses de la classe de mon fils, si elles savaient !
Et la brillante idée est venue d'Esmeralda, la très jeune femme du boss qui adore squatter les shootings des top models et se prendre parfois pour l'une d'elles. Quand elle m'a appris que l'agence s'était vue confier le budget pub de la marque "Comptoir des cotonniers" et qu'ils cherchaient des couples mères-filles pour leur future campagne, mon sang n'a fait qu'un tour.
J'allais redorer le blason de mon fils d'une façon magistrale et peut être me lancer dans un nouveau métier : talent scout. Il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour remarquer que la plus méchante de ce petit groupe de pestes est aussi la plus jolie et que sa mère dans le genre coincée est plutôt pas mal pour son âge. Il s'agit maintenant de passer à l'action et pourquoi remettre à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui. Julian ne m'attend pas mais ça tombe bien, ce n'est pas pour lui que je me déplace aujourd'hui.
Je suis postée juste derrière la grande porte principale, telle un chasseur guettant sa proie, je suis en mission commandée. Quand Valentine apparait, je lui fais signe d'avancer vers moi d'un air hautain. Elle parait un peu décontenancée, elle doit encore avoir un truc à se faire pardonner, celle là.
"- Dis-moi Valentine, je crois que ça va mieux avec Julian, il y a moins de tensions"
Je ne lui laisse même pas le temps de répondre et enchaîne : "-Julian parlait avec son père hier soir, (tu sais que mon mari s'occupe de la pub pour les fringues "Comptoir des Cotonniers"), il regardait les books des mannequins et il a dit que tu serais bien le genre de fille qui pourrait représenter la marque".
Je marque un petit temps d'arrêt. Elle est en train de changer de couleur, elle s'imagine déjà dans Vogue !
"- Mais vous, je veux dire, ils cherchent quelqu'un en ce moment ?"
"- Ils ont déjà beaucoup de candidates, mais ils cherchent des filles dont la maman est jolie et qui pourraient poser ensemble, c'est pour une campagne nationale."
Boom, là, j'ai touché en plein cœur.
"- Je vais en parler à ma mère, je vous téléphone si elle est d'accord"
Alors que je m'éloigne, elle me rejoint et avec un grand sourire :"-Vous direz bien merci à Julian de ma part."
Sa mère n'a jamais voulu se présenter au casting, bien trop vieille France pour oser, mais j'ai promis à Valentine de la tenir au courant si d'autres occasions se présentaient. On ne va pas se mentir, elle et mon fils ne seront jamais de grands amis mais l'autre a suffisamment de jugeote pour réaliser qu'il ne faut pas se le mettre à dos, histoire de ne pas passer à côté d'un bon plan.
J’ai eu droit à un "t'es trop forte maman" et, croyez-moi, c'est mieux qu'un repas avec tous les directeurs de chez Chanel réunis, à part, bien sûr, le grand Karl !
Quant à ma fille, elle n'a pas eu besoin de mes services, sa petite sœur Rose s'est chargée de la défendre en émettant des bruits de cochon à chaque fois qu'elle passe à côté de la petite porcine. Le moins qu'on puisse dire est qu'elle lui colle aux basques, elle va se faire une extinction de voix à force de grogner.
Ma poulette n'a que quatre ans, mais elle est du genre tenace. C'est tout sa mère.