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Dis-moi, chéri, tu crois qu'on va arriver à caser la cuisinière Charlottes aux Fraises dans le coffre de toit ?
Boucler des valises et charger la voiture à deux jours de Noël est une corvée que je ne souhaite à personne. Julian me colle aux basques, il furète dans tous les coins, à la recherche d'un paquet qui pourrait lui rappeler la précieuse console qu'il a commandée.
Nous voilà sur le départ et on dirait les Bidochon sur le chemin des vacances. Entre le break Volvo et le coffre de toit, mon cœur de fashonista fait profil bas.
Trois gosses, les valises, un mari qui a emporté sa guitare car il compte s'y remettre, le chien et son panier, les cadeaux pour toute la famille, c'est qu'il a fallu sortir l'artillerie lourde.
Direction Ménerbes, dans le Lubéron : l'été un véritable paradis, un total no man's land l'hiver. Un petit village blotti au sommet d'une colline, entouré de vignes et................ de ma belle mère Eliane. Je n'avais pas un an quand mes parents ont divorcé et si ma mère a enchaîné les maris avec la précision d'une horloge Suisse, mon père, lui, s'est empressé de se recaser pour la vie. Ma chère belle-maman est l'incarnation vivante de la classe et du bon goût. Sa perfection me fait presque admirer les défauts de ma mère, c'est dire !
Je n'ai rien à lui reprocher, elle a toujours fait du mieux qu'elle pouvait et je ne lui ai pas simplifié le travail, croyez-moi.
Son plus grand tort, à mes yeux : sa fille issue d'un premier mariage et peste notoire. Bien entendu, il va falloir nous la coltiner pour le réveillon, ainsi que son charmant mari et leurs délicieuses petites jumelles !
C'est sûr, nous se sommes pas une famille classique. Qui peut se targuer d'avoir à subir une répétition du dîner de Noël (mais dans la cuisine), de peur de n'avoir rien à se dire le soir du réveillon ?
A peine arrivés, Eliane nous distille ses ordres de sa voix calme et posée. Comme d'habitude, nos chambres sont prêtes et il s'agit de bien ranger nos valises dans les placards prévus à cet effet. Le Domaine de Clavière est réputé pour accueillir des hôtes de marque. Il s'agit d'une authentique ferme provençale du 17ème siècle entièrement restaurée et décorée avec soin. Ma belle-mère ne vit que pour sa maison, et gare à celui qui viendrait bousculer l'ordre établi. Toutes les chambres se ressemblent, c’est impersonnel à souhait. Il y a du blanc partout, des housses de couettes en madras clair et des coussins à profusion. Je hais ces lits pleins d'oreillers dont il faut se débarrasser avant le coucher, c'est infernal.
Le chien, lui, est relégué à la cuisine, je n'ai pas voie au chapitre sur ce point. J'ai beau être chez moi, je m'y sens encore moins à l'aise que dans n'importe quel hôtel.
Mais ne serait-ce pas la voix de cette charmante Cassandre que j'entends dans l'escalier ? Nous nous embrassons hypocritement sans même que nos lèvres n’effleurent la joue de l'autre. Je ne peux pas la blairer. Mon frère, lui, a la chance d'échapper à cette mascarade. Il a choisi de vivre dans un kibboutz en Israël.
Eliane est en train de montrer à mes filles la merveilleuse crèche de Noël qu'elle s'acharne à installer chaque année alors que nous sommes juifs !
Cette répétition est une véritable mascarade et ce ne sont pas deux heures de plus qui vont me faire avoir des choses à raconter à l'insupportable Cassandre.
Heureusement, mon petit papa sauve l'ambiance en lançant le sujet dont tout le monde parle et qui secoue le monde entier, jusqu'à Ménerbes : la crise. Quel filon inépuisable, on pourrait disserter jusqu'au réveillon ! Il n'y a pas grand-chose à manger et, prévoyante, j'ai englouti un paquet de chips avant de passer à table. Eliane surveille le cholestérol de papa depuis vingt ans et le malheureux n'a même plus en tête le goût de la bonne bouffe. Le velouté de marron est si light qu'on dirait un consommé, la pintade sèche comme un coup de trique et il y a de l'Ebly en guise de garniture. C'est à pleurer. Pour le dessert, pas question d'envisager une misérable portion de fruits confits, qui sont pourtant une spécialité régionale.
- Non mais vous imaginez, un fruit aussi goûteux que le melon, plongé dans un bain de sucre. C'est une aberration.
Eliane en tremble rien que d'évoquer cette vision cauchemardesque.
Non, nous, pour le dessert, ce sera fruits frais à volonté ou yaourt de brebis.
Cassandre se régale. Avec le tour de taille qu'elle se tape, il ne faudrait pas nous faire croire qu'elle applique les principes de sa chère mère à la lettre.
Quand je pense qu'Hugo s'est fendu d'une bonne bouteille de Bordeaux tirée de notre stock perso pour s'entendre dire, et je cite Eliane :
- Je trouve ce vin trop jeune et trop alcoolisé.
Belle maman devrait se contenter de boire son lait de jument (oui, oui, elle a tenté de nous convertir, mais en vain) et fermer son clapet.
La soirée ne va jamais se terminer et je serai mieux à regarder le super bêtisier sur France 3. Mais qu'est ce que vous croyez, j'ai des joies simples !
Et voilà Cassandre qui commence à évoquer son job, un univers tellement passionnant qu'elle n'a même pas l'impression de travailler !
Je ne rentrerai pas dans les détails, mais sachez que cette punaise est Directrice Commerciale dans un grand groupe de sous-vêtements et que son boulot consiste à remonter les bretelles des responsables d'enseignes...... elle adore.
Nous avons droit ensuite à la description du fabuleux Noël d'entreprise, où son patron, déguisé en lapin, a distribué des carottes à tous les supers VRP.
- La carotte, l'entreprise, maman, t'imagine, c'est tout un symbole.
Ah oui, génial, comme c'est dommage que je ne travaille pas. Je passe à côté de tout dans la vie !
Demain, nous irons tous faire un tour à Aix-en-Provence, rien de tel qu'un peu de shopping en famille pour resserrer les liens. J'aurais préféré aller à Marseille, moi ça me détend de voir la mer.
- Ma chérie, tu n'y penses pas ! Marseille c'est d'un vulgaire. Avec ton père on n'y a pas remis les pieds depuis au moins dix ans.
Dehors, il fait un froid de canard et je pense à mes cadeaux qui doivent se geler dans le coffre de toit. J'ai envie de rentrer à Paris, de me vautrer sous ma couette rose et de faire une orgie de marrons glacés. La prochaine soirée sera placée sous le signe de l'ouverture des cadeaux. Ceux d'Eliane sont facilement reconnaissables, ils sont enveloppés dans du papier kraft issu de commerce équitable et l'emballage est souvent plus beau que le contenu.
Pour Cassandre, j'ai choisi un magnifique couvre-siège massant en billes de bois pour sa voiture. C'est qu'elle fait beaucoup de route dans le cadre de son travail. Je suis sûre qu'elle va m'adorer et que tout ça va renforcer notre amitié pour 2009.
La nuit tombe sur Ménerbes et je me console en me disant qu'il y a des gens qui tueraient pour avoir une famille.

 

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