Mais quelle attitude adopter quand on est confronté à l'interdit, à la tentation de se faire plaisir pour le plaisir ?

Faut-il succomber sans remords, supporter les conséquences qu'engendre la trahison, expier ses fautes ?

Il y en a qui provoquent ce genre de situation, appelons un chat un chat : ce sont des garces. Puis celles qui disent "moi jamais" et pour qui le dérapage est fatal. Enfin, il y a celles qui prennent la décision de faire marcher leur tête, avant d'écouter ce pseudo désir qui peut tout foutre en l'air.

Lundi dernier, l'endroit le moins glamour de la terre : le primeur du coin. Je suis en train de tâter un avocat dur comme du béton quand je repère un type qui me fixe d'une manière plus qu'insistante. Il serait affreusement moche, je me dirais illico "mais qu'est-ce qu'il me veut, ce gros dégueulasse ?" Comme, en l'occurrence, notre garçon est plutôt du genre à arpenter les podiums, je préfère penser "qu'après tout, il y une justice sur cette planète".

Il s'agit d'être réaliste : ce n'est pas avec ma doudoune informe et mon bonnet de traviole que je dois lui faire de l'effet.

Le voilà qui s'avance vers moi, c'est le moment ou jamais de rester concentrée sur l'avocat. Au secours ! J'ai le feeling qu'il va me parler.

- Tu ne me reconnais pas ? Lucas du lycée Récamier à Lyon.

Une bombe exploserait à cet instant précis que je n'en ferais même pas cas. A la seconde où il a ouvert la bouche, les flots d'images et de souvenirs me sont revenus en pleine figure. Comment pourrais-je un jour oublier celui qui m'a fait découvrir le mal d'amour ?

Surtout garder son calme et essayer de paraître normale.

- Bien sur, ça fait un bail. C'est drôle de se tomber dessus à Paris.

Je rêve ou il m'abreuve de questions, lui qui n'a jamais dû me dire plus d'une phrase en deux ans de scolarité commune.

Rapide flash back sur les années désillusions. Lucas est le beau gosse de la classe, les filles gloussent sur son passage et moi je me consume d'amour.

Il sort avec Sophie Vialon, une pimbêche qui n'a pas inventé la poudre mais qui a découvert l'art du soutien-gorge rembourré bien avant nous.

Les voir s'embrasser me fait tellement mal que je dois parfois me cacher dans les toilettes pour verser une larmichette.

- Tu te rapelles de cette fille, Sophie je sais pas quoi... Elle était folle de toi, celle là.

- Si je m'en souviens, ça fait quatorze ans qu'on est marié !

J'ai envie de rentrer sous terre, je broie mon avocat. Ce soir, c'est guacamole au menu. Il faut que je m'extirpe de ce bourbier, j'ai déjà bien assez trinqué quand j'étais jeune.

- Ravie de t'avoir revu. Je dois filer chercher mes enfants à l'école.

- Il est dix heures, tu as bien cinq minutes pour aller boire un café.

Et voilà comment on se retrouve embringuée dans une histoire qui peut avoir plus de conséquences qu'on ne le croit. Savoir pertinemment qu'on devrait dire non. Y aller quand même, poussée par un désir que l'on pensait à jamais enfoui et qui refait surface avec une violence inouïe.

On se raconte nos vies, surtout lui, et on se quitte en échangeant nos numéros de portables. Mon premier réflexe est d'effacer immédiatement la source de ce qui pourrait ne m'apporter que des ennuis. Pour être honnête, je ne mets pas cinq minutes à le regretter, mais au moins je n'aurai jamais la tentation de lui passer un coup de fil

Le lendemain, alors que je suis en pleine séance de repassage, mon téléphone sonne.

Lucas insiste pour m'inviter à déjeuner dans la semaine. Je refuse, lui expliquant que je ne vois pas ça d'un bon oeil vis-à-vis de nos conjoints respectifs.

Cela le fait rire.

- Tu n'as pas changé, toujours aussi parano. Je me souviens de la façon dont tu surveillais tes petits mots qui circulaient dans la classe. J'ai toujours rêvé en recevoir un, mais je n'avais pas tes faveurs.

C'est le monde à l'envers. Lucas se plaignant de mon manque d'attention, alors que c'était juste le contraire.

- Viens ou ne viens pas, sache que je t'attendrai jusqu'à 14 heures.

Je ne vous cacherai pas que ça gamberge sec dans ma tête pendant les jours qui suivent. Que cherche-t-il ? Est-ce que je me suis montée un film ?

Je ne raconte rien à mon mari. Il n'y pas grand chose à dire de toute façon. Le matin du rendez-vous, je vaque à mes occupations, comme si de rien était. Ma décision est prise : je n'irai pas. Alors que je m'apprête à entamer mon pauvre plat basse calorie et réchauffé à la va vite, un SMS implacable tombe.

- Tu dois venir, il y a trop de choses que je ne t'ai jamais dites, et ces mots-là, je ne peux plus les garder pour moi.

Comme dans un état second, je laisse tout en plan et je pars le rejoindre.

Me revoir a été un choc, le déclic qu'il attendait pour changer de vie et s'accorder unpeu de bonheur. Lui aussi était amoureux, je ne lui aurai jamais envoyé les signes qu'il attendait !

Emporté par son élan, il me prend les mains. Je ne sais pas comment réagir et en même temps, il faut bien avouer que c'est l'extase totale.

Nous nous quittons, très embarrassés, et il m'embrasse en dérapant juste comme il faut. Mon dieu, j'ai de nouveau dix sept ans. Il n'y a pas de mot pour décrire mon émotion. Je vis un moment difficile.

C'est une autre paire de manches que de ne laisser rien paraître à la maison.

Je passe une nuit agitée, à me demander pourquoi une telle chose arrive, et surtout pourquoi maintenant.

Ma première décision consiste à éteindre mon portable et à faire la morte. J'évite le primeur comme la peste. Nous allons manger Picard pendant quelques temps.

Je suis heureuse avec mon mari, j'ai trois beaux enfants et une activité sexuelle normale pour nos huit ans de mariage.

Tout remettre en question, tout risquer pour le charme du tombeur de mon enfance. M'imaginer dans ses bras me fait pourtant frissonner, est ce déjà-là une étape dans la tromperie ?

Les jours passent et j'en profite pour mettre ce regain de sensualité au service de mon propre couple. Hugo n'est pas perdant au change.

Pour finir, j'ai perdu mon portable. Il a malencontreusement été happé par une bouche d'égout. Je vais en profiter pour changer de numéro.

Je ne jette pas la pierre à celles qui tombent dans le piège, mais je suis heureuse que l'histoire se soit bien terminée.

Moins d'un mois après cette affaire, Hugo et moi nous rendons dans un petit restaurant où nous avons nos habitudes. Dans un coin sombre, mon beau Lucas est en train de roucouler avec une charmante rousse qui est tout sauf sa femme.

Probablement une mère de famille dans tous ses états...