Seigneur, donnez-moi la force, donnez-moi la force de ne pas supprimer ma mère avant Noël.
Elle a débarqué de Miami hier après-midi et je suis déjà au bout du rouleau. Le trajet aéroport-maison a eu raison de toutes mes bonnes résolutions, elle a le don de me rendre dingue.
A peine le pied posé dans l'appartement, les jérémiades ont commencé.
- Comment, aucun de mes trois petits-enfants n'est là pour accueuillir sa grand mère, c'est une blague?
Elle ne les a pas vus depuis trois ans, ne leur téléphone jamais pour leur anniversaire, mais il faudrait être au garde-à-vous quand elle se décide à nous honorer de sa présence.
J'ai droit ensuite à une inspection sanitaire en règle. Ma chère maman ne supporte pas le moindre grain de poussière, mais n'a pas touché à un ustensile de ménage depuis plus de vingt ans. Elle passe un doigt sur l'écran de la télé et me regarde d'un air réprobateur.
- Ce que Paris peut être sale et pollué tout de même. Je ne sais pas comment vous pouvez vivre toute l'année dans une ville pareille.
Elle disparaît ensuite dans sa chambre et nous la voyons réapparaître vers 19h30, habillée comme pour aller au bal. Une tenue too much à l'américaine et bariolée à mort. Il n'empêche que moi, avec mon tablier et mon poulet dans le four, j'ai tout l'air d'une souillon.
- Maman, laisse-moi dix minutes. Je me change et on passe au salon boire l'apéro en attendant Hugo.
- Ma chérie, impossible. Ce soir, je vois mon amie Martha. On va dîner au Fouquet’s, je t'avais bien prévenue.
Alors, voilà : c'est comme ça qu'on se retrouve seule devant une belle table, un repas prévu de l'entrée au dessert et une furieuse envie d'aller se coucher.
Le pire est que cela semble ne gêner personne. Julian est en plein trip jeu de rôle, il ne l'a même pas calculée. Allegra ne lui en tiendra pas rigueur et Rose n'a même pas compris qu'il s'agissait de ma mère. Pour elle, une maman, c'est tellement à l'opposé de cette caricature.
Hugo lui, est même plutôt content de ce petit repas de fête sans l'invitée principale. Il faut dire qu'il a encore dix jours à tirer, il aura bien le temps de se prendre la tête avec elle.
Le lendemain matin, maman est debout à sept heures........... le jet lag.
Merde, elle fait un bruit de dingue dans la cuisine et va me réveiller toute la maison. Un dimanche matin, même mes propres gamins ont pitié !
Elle se glisse dans la chambre des filles et la voici en train de distribuer ses cadeaux de Noël, dix jours avant la date.
- Je ne vais pas attendre, pour que mes cadeaux soient noyés dans le flot des autres. Au moins, mes petits-enfants sauront que c'est leur grand mère américaine qui les gâte le plus.
J'essaie de la prendre à part et de lui expliquer à mots couverts, que les filles croient encore dur comme fer au Père Noël.
- Allegra, viens voir ta grand-maman. Dis-moi, ma chèrie, une grande fille comme toi, ça croit encore au Père Noël? Ta maman, elle, avait compris à trois ans qu’il n'existait pas.
Tu m'étonnes. Dès mon plus jeune âge, j'avais bien capté qu'avec une personne comme ma mère, il valait mieux dire merci avant même avoir reçu le moindre truc. Alors, me donner un présent, en prétendant que c'était de la part du Papa Noël: très peu pour elle.

Huit heures du matin: Allégra déteste sa grand-mère, Rose pleure la mort du Père Noël et Hugo gueule qu'il voudrait bien avoir la chance de faire un semblant de grasse matinée.
Je décide de faire des crêpes, le seul moyen que j'ai trouvé pour détendre un peu l'atmosphère.
A dix heures, ma mère trépigne : elle veut aller courir les boutiques. Je lui rappelle que nous sommes dimanche matin et qu'il faudra se contenter des Galerie Lafayettes, c'est déjà pas si mal.
- Quand je pense qu'à Miami, tout est ouvert 24h/24, vous êtes vraiment des attardés en France.
Hugo, Julian et Allegra ont décliné l'invitation. J'envie leur désinvolture et leur manque total d'implication.
Comme je m'y attendais, il y a déjà foule mais ce n'est pas encore la grande panique du milieu d'après-midi. Maman s'est mis en tête de redynamiser sa garde robe et nous arpentons les allées, à la recherche de "the creator". Au bout d'une bonne heure et demie d'essayage en tous genre, Rose commence à montrer des signes de fatigue. Sa grand-mère, qui ne lui a pas adressé une seule fois la parole depuis que nous sommes arrivées, lui lance un regard indigné.
- Tu ne vois pas qu'on s'amuse avec ta maman. Et ta mère, j'ai pas l'impression qu'elle s'amuse souvent.
Elle n'a pas le temps d'entendre la réponse bien sentie que je lui prépare. Elle a repéré une vieille connaissance et fond sur elle comme un rapace sur sa proie.
Rose a une terrible envie de faire pipi et, quand nous revenons des toilettes, ma mère a tout bonnement disparu.
Je vous ferai grâce du temps que nous avons perdu à la chercher, en vain.
Le lendemain, une bonne nouvelle nous attend. Maman s'installe chez sa copine pour le reste de son séjour parisien.
- Tu comprends ma chérie, chez toi c'est tellement bruyant. A mon âge, je dois m'écouter, il me faut du repos.
Avant de partir, maman a tenu à ce que j'ouvre mon cadeau. Et oui, la grand-mère modèle préfère passer le réveillon chez des amis à Megève.
- La neige, c'est tellement sympa, et j'ai tant besoin de dépaysement. La plage toute l'année, je n'en peux plus !
Allez, ne me faîtes pas croire que vous ne vous demandez pas ce que j'ai bien pu recevoir pour Noël, de la part d'un tel personage?
La paquet est assez lourd et de forme rectangulaire. Je l'ouvre, et c'est une bien belle surprise qui m'attend. Un joli cadre plein de faux diamants plus bling bling tu meurs, et une photo de ma mother en maillot de bain.
- Ma chérie, quand tu viendra à Miami, je te présenterai mon photographe. Avec son photoshop, il fait des miracles.
Allez, joyeux Noël Félix.